Journée nationale des peuples autochtones (le 21 juin)

Mettre l’accent sur les connaissances holistiques et communautaires pour donner l’exemple de la bonne marche à suivre dans les soins contre le cancer offerts aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis

Andre Letendre, Judy Clark et Warren Lewis nous font part de leur vécu, de leurs apprentissages et de leurs aspirations en tant que conseillère et conseillers en santé communautaire auprès du Partenariat canadien contre le cancer.

À l’occasion de la Journée nationale des peuples autochtones (le 21 juin), nous avons interrogé trois conseillères et conseillers en santé communautaire membres des Premières Nations, inuits ou métis : Andre Letendre (Métis), Judy Clark (Inuite) et Warren Lewis (membre des Premières Nations). Ils ont rejoint le Partenariat canadien contre le cancer (le Partenariat) en 2024.

Ces conseillères et conseillers soutiennent l’engagement du Partenariat envers la réconciliation en partageant leur vécu, ainsi que les points de vue de leur communauté et de leur région, afin d’orienter la planification et la mise en œuvre des initiatives du Partenariat.

L’entretien ci-dessous a été modifié pour des raisons de longueur et de clarté.

Partenariat : Pourquoi avoir endossé ce rôle de conseiller ou conseillère en santé communautaire? 

Andre Letendre : Tout le monde sait que le cancer existe, mais personne ne veut en parler. C’est une maladie dévastatrice. Aider est ma passion, en particulier lorsqu’il s’agit d’aider les peuples autochtones. Je suis convaincu qu’en conciliant le système colonial (occidental) avec nos savoirs traditionnels, avec notre rapport à la nature, nous pourrions mettre en place de bons services.

Il est très important pour moi que les Métis aient voix au chapitre. Les Métis ont toujours été les oubliés de l’histoire. À l’échelle nationale, nous n’étions pas vraiment entendus. Personnellement, mon identité repose sur mes origines nêhiyawêwin (cries). Ce sont mes racines. J’ai aussi un côté français, mais je me suis toujours considéré comme Métis. J’en ai toujours été fier. Je veux contribuer à l’élan des Métis qui s’affirment et font entendre leur voix.

Judy Clark : Je me suis jointe au Partenariat en tant que conseillère inuite en santé communautaire alors que je travaillais à la Manitoba Inuit Association.

L’association n’en était qu’à ses balbutiements. Je crois qu’il y avait peut-être cinq employés au total et tellement de problèmes à régler. La santé figurait parmi les principales priorités, au même titre que le logement, les revenus, la sécurité alimentaire, etc. Ces dernières années, on nous a rapporté des récits sur des soins que des proches ont reçus, mais également sur des soins qui n’ont pas été reçus. Malheureusement, une jeune personne est décédée d’un cancer qui aurait pu être détecté à un stade précoce et traité. J’ai donc pensé qu’il était important que les Inuits aient leur mot à dire dans le domaine des soins contre le cancer et des soins de santé en général.

Warren Lewis : Comme Andre et Judy, j’ai moi aussi des membres de ma famille et de ma communauté qui ont été touchés par le cancer, et certains en sont morts. C’est une maladie qui touche tant de personnes. Les taux d’incidence du cancer (et de nombreux autres problèmes de santé) sont beaucoup plus élevés chez les peuples des Premières Nations. Je voulais contribuer aux efforts qui visent à réparer ces dommages.

Quelles priorités en matière de lutte contre le cancer et de santé en général vous tiennent à cœur?

Judy Clark : L’accès aux soins de santé est une réelle priorité. Comprendre les déterminants sociaux de la santé des Inuits et appliquer les principes directeurs du Qujiminajatuqangit inuit à ce travail en fait partie.

En tant que conseillère, j’accorderai une grande importance à la manière dont nous recueillons et analysons les données démographiques et cliniques qui sont guidées, gérées et détenues par les Inuits ainsi que la manière dont nous élaborons des stratégies à partir de ces données.

-Judy Inugjuaq Clark, conseillère inuite en santé communautaire

Andre Letendre : Les relations sont la clé de tout. Je dois contribuer à développer ces relations avec les partenaires du Partenariat. Non pas pour influencer leurs actions, mais pour apprendre à les connaître afin de me servir ensuite de ces aspects à l’échelle nationale et les communiquer. L’un des partenaires, par exemple, est la Saskatchewan Cancer Agency. Elle travaille notamment sur le myélome multiple (page en anglais seulement). J’apprends également à connaître de nombreuses autres communautés métisses et à tisser des liens avec elles. Nous avons une conseillère métisse au Partenariat, Susie Hooper. Elle vient de Colombie-Britannique. J’ai besoin de comprendre ce que font la Colombie-Britannique, le Manitoba, l’Alberta, l’Ontario et les autres provinces et territoires.

Voilà ce que je fais en ce moment : je noue des relations avec des partenaires ici en Saskatchewan, mais aussi avec des patients et patientes et des membres de la communauté dans tout le pays.

Warren Lewis : Il y a beaucoup de problèmes de santé dans ma communauté. Il y a des années, on y consommait beaucoup d’alcool. Il est intéressant de constater qu’aujourd’hui l’alcool est remplacé par la drogue. Je pense que cela reflète en grande partie ce qui se passe dans le reste du pays, où ce problème est devenu très présent, et pas seulement au sein des communautés des Premières Nations.

Comme l’a dit Judy, l’accès aux soins de santé est également un problème important. La cause principale était et demeure la Loi sur les Indiens. De nombreux membres des Premières Nations ont été arrachés à leurs territoires traditionnels et placés sur de petites parcelles de terre, à plusieurs centaines de kilomètres des communautés non autochtones, dans des endroits très éloignés et isolés. Vous pouvez donc imaginer à quel point il est difficile d’accéder à des soins préventifs ou à des soins de suivi depuis ces localités.

La population canadienne en général n’est pas consciente d’un grand nombre de ces disparités. J’essaie toujours de sensibiliser les gens à cette réalité, de les informer des problèmes que rencontrent les communautés des Premières Nations des régions éloignées et nordiques.

Le cancer n’est pas un problème isolé, mais un phénomène profondément lié à des questions de santé plus larges, à des structures coloniales et à un racisme systémique.

Le cancer est lié à de nombreuses autres maladies, qui ne sont pas toujours physiques, mais aussi mentales, émotionnelles, sociales et spirituelles.

-Andre Letendre,
conseiller métis en santé communautaire

Lorsque j’aborde le cancer, ou toute autre question en fait, « l’espace éthique », un concept développé par mon ami Willie J. Ermine, me guide. L’espace éthique pose quatre questions : d’où venons-nous? Comment en sommes-nous arrivés là? Pourquoi sommes-nous ici? Et où allons-nous? Nous ne pouvons pas savoir où nous allons si nous ne pouvons répondre aux trois premières questions. Nous devons savoir comment nous en sommes arrivés là. En ce qui me concerne, il faut remonter vers 1600. C’est à cette époque que mes premiers ancêtres européens français sont arrivés sur cette terre.

Avec le colonialisme est arrivé ce concept d’isolation et de destruction, s’opposant à notre conception holistique du monde. Pourtant, n’importe quel aspect de la santé doit être abordé dans sa globalité, en prenant en compte le logement, l’alimentation, l’air, l’eau, la famille, la langue et le lien avec la terre. Tout est une question de relations, d’une génération à l’autre. Et ce n’est pas ce que nous faisons. Au Canada, nous ne disposons pas d’un bon système de santé fondé sur les relations et le droit naturel. Le droit naturel est pourtant commun à toutes les cultures autochtones du monde. 

Le cancer peut être considéré comme l’expression d’un traumatisme intergénérationnel.

Warren Lewis : En tant que membre des Premières Nations, lorsqu’il est question de traumatisme intergénérationnel, nous pensons aux pensionnats. Les gens en savent moins sur les externats indiens et les hôpitaux indiens qui étaient aussi implantés dans toutes les communautés des Premières Nations. Ils étaient très similaires aux pensionnats.

Imaginez être arraché à votre famille et emmené dans un endroit inconnu, être seul, maltraité, abusé, traumatisé, n’avoir nulle part où vous réfugier, n’avoir personne vers qui vous tourner, et vivre cela pendant en général dix ans. Puis vous quittez essentiellement l’école, mais vous pouvez imaginer le grand vide ressenti par ces enfants, aujourd’hui adultes, à cause de la violence qu’ils ont subie. Cela a touché une famille après l’autre.

Ces pratiques ont été maintenues pendant plus de 150 ans.

Selon moi, de tels traumatismes subis et enfouis en vous pendant des générations peuvent vraiment affecter votre santé. C’est l’expérience commune des Premières Nations et des peuples autochtones dans tout le Canada. 

Judy Clark : Le racisme historique et le colonialisme dans le système de soins de santé persistent encore aujourd’hui. Je suis une infirmière retraitée. J’ai 32 ans d’expérience dans ce métier (j’ai pris ma retraite en 2019). J’ai donc vu beaucoup de racisme et de formes de structures coloniales. Ce sont des pratiques très hiérarchisées. Lorsque cela venait des médecins, c’était vraiment sidérant. Si j’étais témoin d’une situation de racisme, j’intervenais quand je le pouvais.

Le Collège des médecins et chirurgiens du Manitoba est venu à la Manitoba Inuit Association pour présenter des excuses publiques à la communauté inuite. Je ne sais pas si cela changera vraiment quelque chose. Certainement pas à court terme, car j’entends encore toutes sortes d’histoires : mauvais traitements, refus d’admission, comportement grossier et non professionnel de la part des professionnels de la santé.

Vous devez vraiment défendre vos intérêts, faute de quoi, vous êtes coincé. Si personne ne peut défendre vos intérêts, on vous ignore.

Quels sont jusqu’à présent certains des points saillants de votre travail avec le Partenariat?

Andre Letendre : La collaboration avec l’équipe du Partenariat est un élément clé. Nos conseils sont véritablement entendus et intégrés. Nous assistons à une évolution vers des pratiques plus inclusives, et cette volonté d’apprendre et de s’adapter donne du sens au travail. Nous avons l’impression de vraiment construire ensemble quelque chose d’important.

Et il y a aussi le fait que notre rôle est très vaste. Pour certains, cela peut même être intimidant, mais pas pour moi. J’aime les défis.

Judy Clark : J’ai eu l’occasion de rencontrer des personnes très respectées, notamment mes co-conseillers. Ils possèdent une mine de connaissances que j’essaie d’assimiler autant que possible. Il y a aussi quelques personnes que je considère comme des Aînés. Je respecte vraiment leurs points de vue, qui peuvent être différents des miens.

Parmi les autres points saillants, je citerais le fait d’avoir été invitée à participer à des comités, à des réunions, et d’avoir noué de nouvelles relations. Je suis actuellement un cours de deux ans à l’université McMaster sur la santé des populations et la santé clinique. Je collabore aussi avec l’Alliance canadienne pour la recherche sur le cancer et je copréside le comité de planification de la Conférence canadienne sur la recherche sur le cancer qui se tiendra en novembre 2025. Je n’ai jamais fait cela auparavant. J’apprends donc beaucoup. C’est une expérience très enrichissante que de rencontrer tant de gens instruits et dévoués, et de connaître leur point de vue sur les choses.

Warren Lewis : Le Partenariat regorge de bonnes personnes qui essaient de faire du bon travail. Je suis très heureux de voir quelqu’un comme Talia Pfefferle [directrice, Stratégie de lutte contre le cancer chez les Premières Nations, les Inuits et les Métis] diriger ce travail. Je suis également ravi de constater que le Partenariat s’efforce réellement d’adapter l’organisation à la culture autochtone, en essayant d’intégrer les modes de fonctionnement et les connaissances des peuples autochtones. C’est ce que font les conseillères et conseillers, mais aussi Talia et son équipe.

Le Partenariat est un très bon exemple pour les organisations qui veulent vraiment changer. Il prend en compte ce que nous, les conseillers, disons, ce que les leaders et communautés autochtones disent, et il agit en conséquence.

-Warren Lewis, conseiller en santé communautaire membre des Premières Nations

Cette approche permet véritablement d’intégrer les modes de vie et les connaissances autochtones dans l’organisation. Ça fait du bien de voir cela, car malheureusement, dans beaucoup d’organisations, il y a plus de paroles que d’actions.

Que signifie pour vous la Journée nationale des peuples autochtones? 

Judy Clark : Je crois que cette journée est une occasion de réfléchir à l’histoire, aux récits, à ces merveilleux peuples. Les Premières Nations, les Inuits, les Métis ont des cultures très différentes. Il y a des similitudes, mais nous sommes des peuples très différents les uns des autres, avec nos propres langues. Je suis née à Churchill et la famille de ma mère est originaire de Whale Cove, au Nunavut. C’est donc une journée de réflexion, une journée où je suis fière de mon héritage.

Nous célébrons également la Journée du Nunavut, le 9 juillet. C’est une autre journée spéciale pour les Inuits.

Andre Letendre : Tout d’abord, c’est un honneur d’être autochtone au Canada. Je n’y croyais pas il y a quelques années. Un changement monumental s’est opéré dans la conscience nationale depuis la publication du rapport de la Commission de vérité et réconciliation en 2015.

Avec le recul, je constate que c’est à ce moment-là que le Canada, en tant que pays, s’est un peu démarqué. Nous allions dans une direction, puis la publication du rapport de la Commission de vérité et réconciliation et de ses 94 appels à l’action a marqué un tournant. C’est une chance pour nous que de pouvoir continuer à suivre cette voie parce qu’elle nous mènera à des services de santé plus holistiques, plus efficaces et plus éthiques au Canada.

Warren Lewis : Bien sûr que c’est une journée très importante. Elle s’inscrit également dans le cadre du Mois national de l’histoire autochtone (juin). Mais j’ai toujours envie qu’on en fasse plus. De nombreuses personnes fondent encore leurs opinions et leurs hypothèses concernant les peuples autochtones sur des stéréotypes et des préjugés qui perdurent au Canada. J’aimerais donc vraiment que l’on éduque notre jeunesse sur le sujet dans les écoles ordinaires, de la maternelle au collège et à l’université.

Je pense que la prise de conscience doit s’accompagner d’actions concrètes, et ne pas se limiter à un mois ou une journée. Elle doit être soutenue, elle doit être constante et elle doit vraiment être beaucoup plus sur le devant de la scène.

Andre Letendre : Il faut prendre cet engagement tous les jours. Le 21 juin est la date à laquelle nous célébrons l’événement à l’échelle nationale. Mais la réconciliation, c’est tous les jours, à chaque instant de notre vie. Cette vision, cette connaissance… c’est plus qu’une journée.