Améliorer l’équité dans l’accès aux soins palliatifs

Entrevue avec le Dr Naheed Dosani, conseiller sur l’équité en santé

Le 1er mars 2023, Excellence en santé Canada (ESC) et le Partenariat canadien contre le cancer (le Partenariat) ont annoncé les dix premières communautés qui recevront un soutien par l’intermédiaire d’un nouveau programme intitulé Améliorer l’équité dans l’accès aux soins palliatifs. Lancée en 2022, cette initiative est une collaboration entre ESC et le Partenariat, axée sur l’amélioration de l’accès à une approche palliative des soins, avec et pour les personnes en situation d’itinérance ou de logement précaire au Canada.

Dr. Naheed Dosani

La première cohorte a été sélectionnée à l’automne dernier et participera au programme jusqu’en 2026. La cohorte s’étend sur sept provinces du Canada et comprend des milieux urbains, ruraux et éloignés. Chaque projet recevra un financement pouvant atteindre 100 000 $ sur quatre ans.

Une deuxième cohorte devrait être lancée en 2024. Au total, jusqu’à 20 communautés participeront au programme.

Le Dr Naheed Dosani, médecin spécialisé en soins palliatifs basé à Toronto, est coprésident du comité directeur du programme. Il est également conseiller expert sur l’équité en santé auprès du Partenariat. Nous lui avons parlé pour en savoir plus sur ce nouveau programme, pour comprendre l’importance de l’équité dans les soins palliatifs et pour savoir ce qui le motive dans son travail. L’entrevue a eu lieu fin février 2023.

À titre de coprésident du comité directeur du programme et de conseiller sur l’équité en santé auprès du Partenariat, comment contribuez-vous à cette initiative?

Dans le cadre de mon rôle de conseiller sur l’équité en santé, je travaille avec des collègues pour rendre les soins palliatifs plus accessibles aux populations structurellement vulnérables. Je m’appuie également sur mon expérience de défenseur, de dirigeant du système de santé et de clinicien de première ligne pour aider, encadrer et guider des communautés de tout le pays qui cherchent à inspirer et à apporter un changement local. Il est important de se rappeler qu’il ne s’agit pas seulement, dans cette initiative, de financer de nouveaux programmes. Il s’agit d’apprendre. Il s’agit d’établir une communauté de praticiens grâce à des occasions de réseautage avec les pairs et les experts.

À terme, ce programme donnera à des équipes d’un bout à l’autre du Canada l’occasion de cocréer, de mettre en œuvre, de mesurer et d’évaluer des approches de soins palliatifs axées sur l’équité. Il s’agit de mettre sur pied un système meilleur.

Pourquoi l’équité est-elle importante dans les soins palliatifs, surtout pour les personnes en situation d’itinérance?

Bon nombre de nos systèmes communautaires de soins palliatifs ont été mis au point d’une façon qui exclut, de manière structurelle, les personnes qui n’ont pas accès aux déterminants sociaux de la santé que beaucoup d’entre nous tiennent pour acquis, comme le fait d’avoir un chez-soi. Nos systèmes de santé et de protection sociale présupposent souvent qu’une personne aura un logement stable, de l’argent sur son compte en banque, un téléphone, et un réseau de membres de la famille ou d’aidants. Or pour de nombreuses personnes en situation de pauvreté et d’itinérance, ce n’est en fait pas le cas. Cela signifie qu’à mesure que les personnes vivant dans la rue et dans des refuges vieillissent et que leur maladie évolue, par exemple le cancer, elles n’ont pas toujours accès aux soins communautaires dont elles ont besoin et qui sont généralement offerts au reste de la population. Le résultat est dévastateur. Les personnes sans abri ont une espérance de vie de 34 à 47 ans. Elles présentent souvent de lourds symptômes. Et, pire que tout encore, nombre d’entre elles doivent faire face à cette situation toutes seules, sans personne. C’est précisément pour cela que nous devons de toute urgence faire tout notre possible pour améliorer nos systèmes de soins palliatifs, afin d’être en mesure de rencontrer les gens où ils sont. Pour y parvenir, il est essentiel de bien comprendre ce que c’est exactement que l’équité en santé.

Le cancer est-il répandu au sein des populations en situation de logement précaire?

Les personnes en situation d’itinérance sont quatre fois plus susceptibles d’être atteintes de cancer, par rapport au reste de la population canadienne. Pour parler de ma propre expérience, cela fait bien des années que j’offre des soins palliatifs aux sans-abris vivant dans la rue, et j’ai rencontré de nombreuses personnes qui souffrent à cause du cancer. Il me semble donc très logique qu’ESC et le Partenariat s’unissent pour échanger leur expertise et leurs points de vue afin d’aider les communautés à apporter des améliorations mesurables à l’accès aux soins palliatifs pour les personnes en situation de logement précaire.

Ces deux organisations sont toutes deux animées par des valeurs éthiques ancrées dans la responsabilité sociale, chose que ce projet fait vraiment ressortir.

À quels obstacles les sans-abris sont-ils confrontés en matière d’accès aux soins palliatifs?

Je crois que le premier obstacle réside dans le fait que le système que nous avons conçu, comme les soins à domicile, exclut, de manière structurelle, celles et ceux qui sont sans domicile. Par exemple, en l’absence d’une adresse fixe, on ne peut recevoir de services de soins à domicile, ce qui rend également inaccessible une multitude de services communautaires. Deuxièmement, bien souvent, nos systèmes de soins palliatifs n’offrent pas les mesures de soutien particulières dont certaines personnes en situation d’itinérance ont besoin, comme des aides intégrées en matière de santé mentale et d’usage de substances. Les personnes en situation d’itinérance ont souvent le sentiment de ne pas être les bienvenues dans les établissements de soins de santé traditionnels, surtout parce qu’au cours de leur vie, certaines d’entre elles ont connu de profonds traumatismes lors de leurs interactions avec le système médical. Et donc, lorsqu’elles sont le plus vulnérables, elles n’ont pas le sentiment d’être les bienvenues ou de pouvoir être acceptées dans les unités hospitalières ou les centres communautaires de soins palliatifs. Il en découle qu’elles doivent bien souvent se débrouiller seules, dans leur communauté et avec leur famille de la rue, face à leurs maladies ou à leurs problèmes de soins médicaux.

Si ces communautés peuvent faire preuve d’une certaine résilience, cela signifie néanmoins que beaucoup de gens n’ont pas accès aux ressources, aux aides et aux soins dont ils ont besoin, et souffrent donc à l’approche de la fin de vie.

Au cours de vos années de travail dans le domaine des soins palliatifs, ces problèmes ont-ils empiré?

Assurément. Nous avons assisté, au cours des dernières années, à un élargissement du fossé entre les nantis et les démunis, conjugué à la pandémie de COVID-19. Au Canada, la vie des personnes en situation d’itinérance ne tenait plus qu’à un fil, et ce fil s’est cassé. On observe une augmentation sans précédent du nombre de personnes vivant dans la rue ou dans des refuges. De même, de plus en plus de gens dorment sous les ponts (article en anglais seulement) et dans des camps. Cela vient s’ajouter à un affaiblissement du système de protection sociale, avec des répercussions sur les soins de santé, les services sociaux et d’autres secteurs. Il en résulte que bien des gens sont laissés pour compte.

En tant que médecin, qu’est-ce qui vous a attiré vers les soins palliatifs?

J’ai toujours su que les soins de santé pouvaient être un puissant moteur de changement social. Il y a plus de dix ans, alors que j’étais stagiaire dans mon programme de résidence, je me suis retrouvé à travailler dans un refuge local, à Toronto, où j’ai soigné un jeune homme atteint d’un cancer avancé de la tête et du cou. Quand il est arrivé dans notre refuge, il était souffrant et en situation de crise, et malheureusement, à cause de ses troubles de santé mentale et de la marginalisation dont il était victime, il n’était pas en mesure d’obtenir des soins contre son cancer d’une manière suivie. C’était de soins palliatifs dont il avait besoin, mais il n’y avait pas accès. Il a fini par mourir d’une surdose d’opioïdes. Cet incident m’a marqué, et aujourd’hui encore, pour être tout à fait honnête, je suis hanté par l’idée que dans un pays aussi avancé et aussi riche que le Canada, il y ait encore des gens qui ne bénéficient pas d’un accès équitable aux soins de fin de vie. Les soins palliatifs sont un droit fondamental de la personne, et tout le monde devrait pouvoir en obtenir.

Je me suis épris des soins palliatifs, car ils sont centrés sur la personne, et parce qu’à l’origine, il s’agit fondamentalement d’un mouvement populaire, lancé par des patients et des aidants qui souhaitaient que leurs maladies soient prises en charge différemment. À présent, mes collègues et moi faisons pivoter ce mouvement vers une approche des soins palliatifs axée sur l’équité en santé, pour les personnes les plus vulnérables de notre société.

Les principes de base des soins palliatifs sont ancrés dans la dignité et la compassion. Comment mettez-vous ces valeurs au cœur de vos travaux auprès des personnes parmi les plus marginalisées de nos communautés?

Tout d’abord, nous rencontrons toujours les personnes là où elles sont, d’un point de vue géographique (tenir un rendez-vous avec un client dans une allée, un parc ou un refuge), mais aussi émotionnel. Dans le domaine de la santé, on a parfois tôt fait d’adopter un modèle médical de soins; or cela ne convient pas toujours à tout le monde. Certaines personnes souhaitent juste être entendues, ou se concentrer sur leurs finances ou leur logement, ou obtenir de l’aide pour remplir des formulaires. Certaines, encore, ont juste besoin d’un peu de compagnie pour se sentir acceptées et intégrées.

Il faut aussi reconnaître que de nombreuses personnes auxquelles nous offrons des soins se sont vu infliger de profonds traumatismes par le système de santé, dans des cliniques ou des hôpitaux, et pourraient donc ne pas se sentir à l’aise de rencontrer un professionnel de la santé dans un tel lieu. Bien souvent, néanmoins, si on adopte une approche des soins tenant compte des traumatismes, on constate qu’il est possible d’instaurer la confiance et d’établir un lien et de bons rapports, pouvant évoluer en une relation thérapeutique.

L’initiative Améliorer l’équité dans l’accès aux soins palliatifs est une réponse politique à grande échelle et tenant compte des traumatismes au fait qu’il est inacceptable que des personnes structurellement vulnérables souffrent, dans notre pays, à l’approche de la fin de vie.

Je pense qu’il y a de quoi en être fier, et qu’il faut poursuivre sur cette voie dans nos systèmes de santé.

Je me sens très honoré de faire partie de ce programme et d’une organisation qui ne se contente pas de parler de l’équité, mais qui agit pour l’améliorer.